Interview avec Gérard Dubois (professeur de santé publique à la faculté de médecine d’Amiens)
Atlantico : Un rapport de la Cour des comptes, publié ce jeudi, pointe du doigt les politiques de santé publique mises en place depuis 10 ans pour lutter contre le tabac. L’Etat fait-il vraiment le nécessaire pour lutter aujourd’hui contre le tabac ?
Gérard Dubois : Le prix des cigarettes a triplé depuis la loi Evin (1991), les ventes ont été divisées par deux, le cancer du poumon des hommes de 35 à 44 ans a été divisé par deux. C’est un succès, mais on aurait pu faire mieux car la baisse n’a lieu que pendant 10 des 20 années qui nous séparent de la loi Evin. Baisse de 1991 à 1997 et de 2002 à 2004, pendant lesquelles les hausses de taxe sont dissuasives et répétées. Absence de baisse, donc ventes en plateau de 1997 à 2002, et de 2004 à 2011. Les hausses de prix (et non de taxes) demandées par l’industrie du tabac en 2007, 2009, 2010 et 2011 (et encore en 2012) ne visaient qu’à accroître ses profits SANS impact sur le niveau des ventes, ce que nous avions immédiatement annoncé, et qui s’est réalisé.
Donc les ventes baissent quand les hausses de taxe sont dissuasives et répétées (au moins 10% au moins tous les deux ans). Elles ne baissent quand elles sont insuffisantes et étalées comme depuis 2007.
Plus largement, est-ce vraiment dans l’intérêt de l’Etat de lutter contre le tabac ? Pourquoi alors ne pas augmenter d’une manière radicale le prix des paquets de cigarette ?
Il est de l’intérêt évident de l’État d’augmenter les taxes sur le tabac. A chaque augmentation de 10%, les ventes baissent de 4%. Les revenus de l’État augmentent donc de 5,6% ET les ventes baissent. Ceci devrait satisfaire et le ministre du Budget, et le ministre de la Santé. Si cela n’est pas fait, ce n’est que parce que certains désirent favoriser les intérêts financiers des cigarettiers et des buralistes.
Qu’est-ce que l’industrie du tabac rapporte concrètement à l’Etat et lui coûte ? Et aux buralistes ?
700 emplois pour l’industrie du tabac, 27 500 buralistes (pas tous à temps plein) sont à comparer économiquement aux 73000 décès annuels dus au tabac. Les taxes rapportent 15 milliards d’euros à l’État qui en a reversé 300 millions aux buralistes qui n’ont jamais gagné autant d’argent qu’aujourd’hui sur le tabac. De plus, ces aides qui devaient compenser les baisses de vente aux frontières ont été versées à l’ensemble des buralistes.
Par ailleurs, le but de l’État doit être l’intérêt de la collectivité. Hors le tabac est la première cause évitable de décès. La France a ratifié un traité international sous l’égide de l’OMS, la Convention Cadre de Lutte AntiTabac (CCLAT) qui contient toutes les modalités d’action qui ont démontré leur efficacité, augmentation des taxes en tête.
Source: journal Atlantico